Parisienne un jour, parisienne toujours ?

Réflexions et retours sur mes pas à la Cité Universitaire.

Jeanine

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Je sors du RER, une vague déferlente de jeunes, probablement des étudiants, s’engouffre dans la rame derrière moi.

Il est 19h, j’ai cinq minutes de retard. Comme d’habitude, dirais-je.

Je sors de la station, je traverse le boulevard Jourdan. Les trams partent dans les directions opposées, et voilà que la Maison Internationale transparaît dans la pénombre, peu éclairée mais fière.

Beaucoup de va-et-vient, de voitures, d’agitation du quotidien, mais je suis comme dans un tunnel. Je traverse, et il n’y a que moi face au portail.

Cette traversée de boulevard ne me laisse point indifférente. Ce bout d’asphalte, j’ai dû l’arpenter des milliers de fois au cours des sept dernières années.

Mon premier chez moi, toutes les aventures sont parties de là. Je n’y suis pas restée longtemps, moins d’un an, au 9E, mais j’y suis retournée de très nombreuses fois. Grâce au choeur, mais aussi et surtout, parce que c’est mon quartier préféré de Paris. Là où j’ai les meilleurs souvenirs et où je me sens le plus en sécurité.

Je dépasse le grand portail, me voici dans la Cité Internationale Universitaire de Paris. Mes jambes me guident sans que je n’aie besoin de réfléchir, je reconnais le chemin du Collège Franco-Brittanique les yeux fermés. Passé le buste d’André Honnorat, je prends l’escalier à gauche et me promène tranquillement sur les pavés.

Ces pavés ont été les premiers témoins de l’évolution de ma vie parisienne. C’est là où j’ai pris mon premier cours de vélo pour adultes, l’année de mon arrivée à Paris.

Ces pavés m’ont vu porter mes courses, faire visiter la Cité U à tous ceux que j’aime, courir pour rattraper mon moyen de transport tard la nuit après une répetition…

Ces pavés, anodins pour d’autres, à jamais gravés dans ma mémoire.

Je marche tout droit, jusqu’à la grande batisse en briques rouges. Arrivée devant le porche, j’attends qu’on ouvre. Je rentre, je vais vers la gauche, puis je fais demi-tour. Ma mémoire me fait défaut: l’entrée du grand salon, autrefois bibliothèque, est à droite.

Sur les canapés rouges, des visages souriants et amicaux m’attendent. Le sourire ne quittera plus mes lèvres pendant près d’une heure.

On m’invite à rejoindre la répétition, les voix qui chantent en choeur sont aussi belles que leurs propriétaires, c’est tentant… mais je préfère m’éclipser : j’ai la gorge nouée.

Je sors, j’ai les larmes aux yeux. Les souvenirs déferlent, me rappelant tous les instants de bonheur que j’ai vécus dans l’enceinte de la Cité U. Je pense surtout à ces journées à rallonge, intenses au boulot, pleines de musique en répétition de choeur. Ces soirs où je rentrais en fredonnant l’oeuvre qu’on venait de déchiffrer. Les générales et les concerts dans le splendide Salon Honnorat, les solistes impressionnants, les chefs passionnés, les choristes motivés, les visages familiers dans le public, les applaudissements chalheureux… une expérience incroyable.

Je marche sans savoir quoi faire, ni où aller. Je n’ai point envie de partir… malheureusement, je n’ai pas la possibilité de rester. Je fais le tour de la Maison Internationale, je prends le chemin de “la marche du confinement” : quand nous vivions à Arcueil, le parc de la Cité U était à 1km de chez nous… 1km négocié et tout rond, bien entendu.

C’est sur les sentiers de ce parc que nous avons imaginé notre vie future, loin du chaos de la Ville Lumière.

Suis-je vraiment partie ? Aurais-je pu rester ?

Même avec la meilleure conviction du monde, je tressaille et me pose des questions.

Ce choix qui a marqué la fin de mon chapitre parisien interroge. Suis-je heureuse loin de Paris ? Est-ce que ma “nouvelle vie” me plaît ? Le changement n’est-il pas trop brutal ? Les mêmes questions reviennent.

Pourtant, j’ai une drôle d’impression d’avoir simplement changé de quartier. De la Cité U, à Chatillon, au 14ème, à Arcueil, au 12ème… et maintenant, 600km plus loin, Chambéry.

Revenir tous les mois à Paris renforce d’autant plus cette impression. Certes, je ne vais plus au Centre Pompidou sur un coup de tête… mais tout compte fait, n’est-ce pas le Covid qui a véritablement marqué un tournant dans mes habitudes ? Moins de déplacements, du télétravail à temps complet, une quête d’espace et de nature… il a fait naître en moi la volonté de ne plus jamais vivre confinée : ni dans les transports, ni au bureau, ni chez moi.

La gorge toujours nouée, j’emprunte le chemin de la sortie. La station de RER fidèle à son poste, je traverse le boulevard une dernière fois cette année.

Ce lieu, qui a façonné la Parisienne en moi, reste là… mais j’emporte tous les souvenirs avec moi.

L’aventure est belle, surtout quand on est bien accompagné.

-J.